10

 

LES LIMBES.

Le mot me vint à l’esprit quand je franchis les portes du service de Réanimation. Les limbes. Là où les âmes des Justes de l’Ancien Testament se trouvent enfermées, avant que Jésus ne vienne les délivrer. L’espace mystérieux où séjournent les enfants disparus avant d’avoir été baptisés. Un milieu indéfini, sombre, étouffant, où on attend la résolution de son sort. « Ni la vie, ni la mort », avait dit Svendsen.

Vêtu d’une blouse nouée dans le dos, portant un bonnet et des chaussons de papier, je remontai le couloir obscur. À gauche, un bureau d’infirmière, éclairé par une veilleuse. À droite, une paroi vitrée, séparée en cellules. Seuls, les déclics des respirateurs artificiels, les bips des Physioguard résonnaient dans les ténèbres.

Je songeai à la citation de Dante, dans le IVe Chant consacré aux Enfers :

... En vérité je me trouvais sur le rebord

de la vallée d’abîme douloureuse

qui accueille un fracas de plaintes infinies.

Elle était noire, profonde et embrumée ;

En fixant mon regard jusqu’au fond,

Je ne pouvais rien y discerner...

 

Numéro 18.

La chambre de Luc.

Il était attaché par des sangles sur un lit relevé à trente degrés. Des tuyaux translucides serpentaient autour de lui. Une sonde pénétrait par une narine, une autre par la bouche, reliée à un soufflet noir qui s’ouvrait et se fermait dans un claquement. Une perfusion dans son cou, une autre dans son avant-bras. Une pince, serrée sur un de ses doigts, brillait comme un rubis. À droite, un écran noir, traversé de sillons verts. Au-dessus du lit, des poches transparentes  – les liquides perfusés.

Je m’approchai. Il faut, paraît-il, parler aux gens dans le coma. J’ouvris la bouche mais rien ne vint. Restait la prière. Je m’agenouillai et fis le signe de croix. Je fermai les yeux et murmurai, front baissé. « J’espère en toi, mon Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit... »

Je m’arrêtai. Impossible de me concentrer. Ma place n’était pas ici. Ma place était dans la rue, à chercher la vérité. Je me remis debout, une certitude au cœur : je pouvais le réveiller. Je pouvais le sauver. À condition de trouver la raison de son acte. Ma propre lumière l’arracherait à ces limbes !

Dans le hall du service, j’abordai une secrétaire et lui demandai d’appeler le Dr Éric Thuillier  – le neurologue que l’anesthésiste m’avait conseillé de voir, la veille.

On me fit patienter quelques minutes puis le médecin apparut. La quarantaine, une allure studieuse. Chemise Oxford, pull ras du cou, pantalon de velours côtelé, trop court et chiffonné. Ses cheveux en épis lui donnaient un air négligé que ses lunettes d’écaille démentaient.

— Docteur Thuillier ?

— C’est moi.

— Commandant Mathieu Durey. Brigade Criminelle. Je suis un proche de Luc Soubeyras.

— Votre ami a eu beaucoup de chance.

— Vous avez quelques minutes pour qu’on en parle ?

— Je dois me rendre à un autre étage. Venez avec moi.

Je le suivis dans un long couloir. Thuillier commença son exposé et ne m’apprit rien de neuf. Je l’interrompis :

— A-t-il des chances de se réveiller ?

— Je ne peux pas me prononcer. Son coma est profond. Mais j’ai vu pire. Chaque année, plus de deux cent mille personnes sombrent dans le coma. Seules 35 % d’entre elles en sortent indemnes.

— Et les autres ?

— Mortes. Infections. Légumes.

— On m’a dit qu’il était resté près de vingt minutes sans vie.

— Votre ami souffre d’un coma anoxique, provoqué par un arrêt respiratoire. Il est évident que son cerveau n’a pas été oxygéné pendant un moment. Mais combien de temps exactement ? Des milliards de neurones ont sans doute été détruits, notamment dans la région du cortex cérébral, qui conditionne les fonctions cognitives.

— Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ?

— Si votre ami se réveille, il aura forcément des séquelles. Peut-être légères, peut-être graves.

Je me sentis blêmir. Je changeai de cap :

— Et nous ? Je veux dire : l’entourage. On peut faire quelque chose ?

— Vous pouvez vous charger de certains soins. Le masser, par exemple. Ou lui passer des baumes, pour empêcher l’assèchement de la peau. Ce sont des moments de partage.

— Doit-on lui parler ? On dit que ça peut jouer un rôle.

— Honnêtement, je n’en sais rien. Personne n’en sait rien. Selon mes tests, Luc réagit à quelques stimuli. On appelle ça des « manifestations de conscience résiduelle ». Alors pourquoi pas ? Peut-être qu’une voix familière lui ferait du bien. Parler au patient peut aider aussi celui qui parle.

— Vous avez rencontré sa femme ?

— Je lui ai dit la même chose qu’à vous.

— Comment vous a-t-elle paru ?

— Secouée. Et aussi, comment dire... un peu butée. La situation est tragique. Il n’y a pas d’autre choix que de l’accepter.

Il poussa une porte et descendit l’escalier. Je le suivis encore. Il me lança par-dessus son épaule :

— Je voulais vous demander. Votre ami, il ne suivait pas un traitement ? Des injections ?

C’était la deuxième fois qu’on me posait la question.

— Vous me demandez ça à cause des traces de piqûres ?

— Vous connaissez leur origine ?

— Non. Mais je peux vous certifier qu’il ne se droguait pas.

— Très bien.

— Cela changerait quelque chose ?

— Mon diagnostic doit tenir compte de tout.

Parvenu à l’étage inférieur, il se retourna vers moi, un sourire gêné aux lèvres. Il ôta ses lunettes et se frotta l’arête du nez.

— Bon. Je dois y aller. Il n’y a plus qu’une chose à faire : attendre. Les premières semaines sont décisives. Vous m’appelez quand vous voulez.

Il me salua et disparut dans un mouvement de portes battantes. Je descendis jusqu’au rez-de-chaussée. Je tentais d’imaginer Luc dans la peau d’un camé. Cela n’avait pas de sens. Mais d’où venaient ces marques ? Etait-il malade ? Aurait-il pu le cacher à Laure ? Je devais vérifier ça aussi.

Dans la cour des urgences, près de l’entrée du centre médico-carcéral, il y avait autant d’uniformes bleus que de blouses blanches. Je me glissai entre deux fourgons de flics et accédai au portail.

À ce moment, je fis volte-face, me sentant épié.

Une série de fauteuils roulants, abandonnés, étaient enchaînés les uns aux autres, comme des caddies de supermarché. Sur le dernier, Doudou.

Il avait baissé au maximum le dossier du siège, l’utilisant comme un transat. Il ne me quittait pas des yeux, tenant une cigarette dans sa main droite. Je lui fis un vague signe de tête et franchis le porche. J’avais l’impression d’avoir un viseur dans le dos.

« Un secret, me dis-je. Les hommes de Luc ont un putain de secret. »

 

11

 

— NE FAIS PAS DE BRUIT, les petites dorment.

Laure Soubeyras s’effaça pour me laisser entrer. Machinalement, je regardai ma montre : 20 h 30. Elle ajouta, en refermant la porte :

— Elles sont crevées. Et il y a l’école demain.

J’acquiesçai, n’ayant aucune idée de l’heure à laquelle des enfants doivent se coucher. Laure prit mon manteau puis me fit pénétrer dans le salon :

— Tu veux un thé ? Un café ? Un alcool ?

— Un café, merci.

Elle disparut. Je m’assis sur le canapé et observai le décor. Les Soubeyras habitaient un modeste quatre-pièces porte de Vincennes, dans un de ces immeubles de briques construits par la Régie immobilière de Paris. Le couple l’avait acheté juste après son mariage, étrennant une longue série de crédits. Tout ici était en toc : parquet flottant, mobilier en contreplaqué, bibelots bon marché... La télévision marchait en sourdine.

Sur cet appartement, Luc aurait pu dire comme à propos des femmes : « Régler le problème au plus vite, pour mieux l’oublier. » En réalité, il se moquait de l’endroit où il vivait. S’il avait été seul, son antre aurait ressemblé au mien : pas de meubles, aucune touche personnelle. On partageait la même indifférence à l’égard du monde matériel, et surtout du confort bourgeois. Mais Luc avait choisi de jouer le jeu, en apparence. Le cocon parisien, la maison de campagne...

Laure réapparut avec un plateau chargé d’une cafetière en verre, de deux tasses de porcelaine, d’un sucrier et d’une coupelle de biscuits. Elle paraissait à bout de forces. Son long visage, étréci encore par ses boucles grises, était tendu et fatigué.

Pour la millième fois, je ressassais cette énigme : pourquoi Luc avait-il épousé cette femme terne, sans intelligence, amie d’enfance de son village natal ? Elle était secrétaire médicale et sa conversation ressemblait à un jeu de Scrabble en mal de lettres. Je me souvenais d’une vanne salace que Luc faisait à son propos : la « position du missionnaire et rien d’autre ». Haut-le-cœur.

Elle s’assit en face de moi, sur un tabouret. La table basse nous séparait. Je me demandai ce qu’allaient être les revenus de Laure et des petites. Je devais me renseigner : quelle pension de reversion touchait la femme d’un flic qui s’était suicidé ? Ce n’était pas le moment d’évoquer ces problèmes matériels. Après quelques banalités sur l’état stationnaire de Luc, Laure annonça :

— J’organise une messe pour Luc.

— Quoi ? Mais Luc n’est pas...

— Ce n’est pas ça. J’ai pensé...

Elle hésita. Elle se frottait lentement les mains, paume contre paume.

— Je voudrais réunir ses amis. Qu’on se recueille ensemble. Qu’il y ait un appel...

— Tu veux dire : un appel vers Dieu ?

Laure n’était pas croyante  – une autre différence avec Luc. Et je n’aimais pas cette idée d’un recours, d’un ultime SOS lancé au Ciel. Aujourd’hui, on ne se souvenait de Dieu qu’aux grandes occasions : baptêmes, mariages, décès... Un bureau des dates en blanc et noir.

— Il n’y a pas que le côté religieux, continua-t-elle. J’ai lu des choses sur le coma. On dit que l’entourage peut jouer un rôle. Des personnes se sont réveillées seulement parce qu’on leur avait parlé ou parce qu’elles étaient entourées d’amour.

— Et alors ?

— Jevoudrais réunir ses amis. Pour créer une sorte de concentré d’énergie, tu vois ? Une force que Luc pourrait sentir.

On basculait dans le projet New Age. Je demandai d’un ton sec :

— Quelle église ?

— Sainte-Bernadette. C’est à deux pas. Luc avait l’habitude d’y aller.

Je connaissais la chapelle, située le long de l’avenue de la Porte-de-Vincennes. Une espèce de bunker construit en sous-sol, géré aujourd’hui par une communauté tamoule. Quelques années auparavant, je venais m’y réfugier à l’aube, lorsque j’appartenais encore à la BRP, l’ancienne « Brigade des Mœurs », après avoir écumé les boulevards extérieurs et leur armée de putes. Je dis :

— Le responsable de la paroisse n’acceptera jamais.

— Pourquoi ?

— L’acte de Luc le condamne.

Elle eut un sourire aigre :

— Toujours vos principes à la con. Mais c’est toi qui l’as dit : Luc n’est pas encore mort.

— Ça n’enlève rien à son acte.

— Tu veux dire qu’il est damné ?

— Arrête. L’Église suit certaines règles et...

— Je viens de parler au prêtre, coupa-t-elle. Un Indien. La cérémonie aura lieu après-demain matin.

Je cherchai en moi quelques motifs de me réjouir de la nouvelle. Mais rien à faire. Je me faisais penser à un chrétien intégriste, fermé et rétrograde. Je me souvins de la médaille de Luc, le protégeant contre le diable. Laure avait raison : nous vivions lui et moi au Moyen Âge.

— Et toi, demanda-t-elle, pourquoi tu es là ce soir ?

Son ton trahissait la méfiance. Elle m’avait toujours considéré comme un ennemi, ou du moins un adversaire. Je représentais la part opaque de Luc, sa part mystique, cette profondeur qui lui échappait... Et aussi, bien sûr, son métier de flic. Tout ce qui, selon elle, expliquait aujourd’hui son geste.

— Je voulais te poser quelques questions.

— Évidemment. C’est ton job.

Je me penchai vers elle et réchauffai ma voix :

— Je dois comprendre ce qu’il avait en tête.

Elle acquiesça, saisit un Kleenex roulé dans sa manche et se moucha.

— Il n’a rien laissé ? Un mot ? Un message ?

— Je t’en aurais parlé.

— Tu as vérifié à Vernay ?

— J’y suis allée cet après-midi. Il n’y a rien. (Après un silence, elle ajouta :) Toujours ses mystères. Il ne voulait pas qu’on comprenne.

— Il n’était pas malade ?

— Comment ça ?

— Je ne sais pas. Il n’a pas fait d’analyses, vu un médecin ?

— Non. Pas du tout.

— Comment était-il ces derniers temps ?

— Gai, joyeux.

— Joyeux ?

Elle me lança un regard par en dessous :

— Il parlait fort, s’agitait tout le temps. Quelque chose avait changé dans sa vie.

— Quoi ?

Après un bref silence, elle assena :

— Je pense qu’il avait une maîtresse.

Je faillis tomber du canapé. Luc était un janséniste. Il se situait non pas au-dessus, mais en dehors des plaisirs de l’existence. Cela revenait à soupçonner le pape de piquer les reliques du Vatican pour les revendre.

— Tu as des preuves ?

— Des présomptions. Un faisceau de présomptions. (Son regard se glaça.) C’est bien comme ça que vous dites, non ?

— Lesquelles ?

Elle ne répondit pas. Les yeux baissés, elle déchirait son Kleenex à petits gestes saccadés. Ce n’était plus du chagrin, mais de la rage.

— Son humeur n’était plus la même, reprit-elle enfin. Il était excité. Les femmes sentent ce genre de choses. Et puis, il disparaissait...

— Où ?

— Aucune idée. Depuis juillet dernier. D’abord le week-end. Le boulot, soi-disant. Et puis en août, il m’a dit qu’il allait à Vernay. Deux semaines. Ensuite, il est parti en Europe. Une semaine à chaque fois. Il prétendait que c’était pour une enquête. Mais je n’étais pas dupe.

— Ces voyages se sont arrêtés quand ?

— Ils continuaient encore au début du mois d’octobre.

Les soupçons de Laure étaient grotesques. Luc lui avait simplement dit la vérité : une enquête personnelle. Un truc sur lequel il devait travailler en douce. Peut-être l’affaire que je cherchais...

— Tu n’as vraiment aucune idée de l’endroit où il allait ?

Elle eut un nouveau sourire, où pointait de la férocité :

— Pas exactement. Mais j’ai mené ma petite enquête. J’ai fouillé ses poches, étudié son agenda.

— Tu as fouillé...

— Toutes les femmes font ça. Les femmes blessées. Tu n’y connais rien. (Son Kleenex était en miettes.) Je n’ai trouvé qu’un indice. Une fois. Un billet pour Besançon.

— Besançon ? Pourquoi ?

— Qu’est-ce que j’en sais ? Sa salope devait habiter là-bas.

— Le billet : quelle date ?

7 juillet. Cette fois-là, il est resté au moins quatre jours. L’Europe, tu parles...

Laure m’offrait une sacrée piste. Une enquête avait mené Luc dans le Jura. Je tentai de la raisonner :

— Je crois que tu te montes la tête. Tu connais Luc aussi bien que moi. Mieux que moi, même. Il n’est pas porté sur la gaudriole.

— Ça, non, ricana-t-elle.

— Il t’a dit la vérité : il menait une enquête, c’est tout. Un truc personnel, en dehors de ses heures de boulot.

— Non. Il y avait une femme.

— Comment le sais-tu ?

— Il avait changé. Physiquement changé.

— Je ne comprends pas.

— Ça ne m’étonne pas. (Elle prit son souffle puis lança d’un ton neutre :) Depuis la naissance des petites, il ne me touchait plus.

Je m’agitai sur le canapé. Je n’avais pas envie d’entendre ce genre de confidences. Elle continua :

— Le coup classique. Je n’insistais pas. Le sexe ne l’a jamais intéressé. Toujours ses enquêtes, toujours ses prières. Et puis, cet été, tout a changé. Son appétit semblait... revenu. Il était insatiable, même.

— C’est plutôt le signe qu’il se concentrait sur votre couple, non ?

— Mon pauvre Mathieu. Vous faisiez la paire tous les deux.

Elle avait dit cela sans la moindre tendresse. Elle poursuivit :

— Un des signes de l’adultère est justement ce retour de flamme. Le mari reprend goût au truc, tu comprends ? Il y a aussi un remords. Une espèce de compensation. Parce qu’il couche ailleurs, ton petit mari t’offre un dédommagement.

J’étais franchement mal à l’aise. Imaginer les Soubeyras au lit, c’était un peu comme soulever la robe d’un prêtre. Découvrir un secret que personne n’a envie de connaître. Je me levai pour couper court à la conversation. J’avouai enfin la raison de ma visite :

— Je pourrais... Je peux visiter son bureau ?

Elle se leva à son tour, lissant sa jupe grise, couverte de peluches de Kleenex :

— Je te préviens, il n’y a rien à trouver. J’ai déjà tout fouillé.

 

12

 

LE BUREAU était nickel. Le même ordre artificiel que dans la pièce du 36. Etait-ce Laure ou Luc qui avait fait le ménage ? Je fermai la porte, ôtai ma veste, dégrafai mon holster. À priori, rien à découvrir ici. Mais nul n’est infaillible  – et j’avais tout mon temps.

Je contournai le bureau et son iBook pour contempler les photos posées sur un meuble bas, le long de la fenêtre. Amandine et Camille, en pleine activité : poneys, piscine, confection de masques... Une carte postale de Rome, signée de ma main : « On connaissait la fabrique. J’ai trouvé l’usine ! » La « fabrique » (sous-entendu : de prêtres) était une allusion à Saint-Michel-de-Sèze, « l’usine » évoquait le séminaire de Rome. Une autre photo représentait un homme en bleu de chauffe, portant un casque à lampe frontale. Il brandissait des cordes et des mousquetons, l’air triomphant, devant l’entrée d’une grotte. Sans doute Nicolas Soubeyras, le père de Luc, le spéléologue.

Luc parlait toujours de lui avec admiration. Il était mort en 1978, au fond du gouffre de Genderer, à moins deux mille mètres, dans les Pyrénées. À l’époque, j’étais jaloux de ce père, de cet héroïsme, de cette disparition même, moi qui n’avais qu’un paternel publicitaire, décédé quelques années plus tard d’un infarctus à Venise, au Harry’s Bar, après un dîner trop arrosé. Comme on fait son lit on se couche.

Je me penchai vers le rideau strié du meuble  – fermé à clé. J’essayai l’armoire : idem. Je m’assis derrière le bureau et allumai l’ordinateur. Je pianotai un peu et m’aperçus que je n’avais pas besoin cette fois de mot de passe pour ouvrir les icônes. Rien d’intéressant. Un ordinateur domestique, rempli de comptes, d’échéanciers, de photos de vacances, de jeux. J’ouvris la boîte aux lettres. Les e-mails personnels n’avaient pas non plus d’intérêt : commandes par correspondance, publicités, histoires drôles... Seuls, quelques messages retinrent mon attention. Toujours envoyés au même destinataire, ils avaient été effacés aussitôt écrits. Il ne restait plus qu’une ligne dans la mémoire, signalant chaque envoi. Le dernier datait de la veille du suicide de Luc. L’adresse exacte était : unital6.com.

Je balançai ces initiales sur Google.

Un site existait : www unital6.com. Double clic. Un logo. La silhouette de Bernadette Soubirous, avec sa petite ceinture bleue, apparut sur une vue de Lourdes. L’image était accompagnée d’un texte rédigé en italien. Je parlais parfaitement cette langue depuis le séminaire.

L’unital6 était une association bénévole qui organisait des pèlerinages à Lourdes. Pourquoi Luc avait-il contacté cette fondation ? De nouveau, le soupçon d’une maladie mortelle... Mais Laure paraissait sûre de son coup, et les toubibs de l’Hôtel-Dieu auraient tout de suite détecté un cancer ou une infection. Ce site était-il lié à une enquête ? Pourquoi les contacter juste avant de prendre son ticket de sortie ?

Je passai la page d’introduction et parcourus les chapitres. L’unital6 développait d’autres activités : séminaires, retraites dans des abbayes italiennes. Je lus la liste des conférences. Le seul thème qui aurait pu accrocher Luc était un colloque à propos du « retour du diable », prévu pour le 5 novembre, à Padoue. Je me promis d’appeler les spécialistes de la police informatique. Ils sauraient peut-être récupérer les textes des e-mails.

Je lâchai le computeur et me concentrai sur le bureau lui-même.

Dans les tiroirs, je ne découvris que des fragments de vie administrative. Relevés de banque, factures EDF, quittances d’assurances, feuilles de Sécurité sociale... J’aurais pu me plonger dans ces documents mais je n’étais pas d’humeur à éplucher des chiffres. Dans le dernier tiroir, un agenda  – des noms, des numéros griffonnés, des initiales. Certains m’étaient familiers, d’autres non, d’autres encore illisibles. Je glissai le carnet dans la poche de ma veste puis, fouillant toujours, je tombai sur un trousseau de clés minuscules. Je levai les yeux : l’armoire, le placard à volet strié...

Le rideau de lamelles s’ouvrit. Des dossiers de toile grise, fermés par une courroie, serrés à la verticale sur un étage, portant sur la tranche la lettre « D » surmontée de dates : 1990-1999, 1980-1989, 1970-1979... Cela continuait ainsi jusqu’au début du siècle. J’attrapai le dossier le plus à droite, intitulé « 2000... », le posai par terre et dénouai sa ceinture de toile.

Deux sous-chemises, portant chacune la date d’une année : 2000 et 2001. J’ouvris 2001 et tombai sur des images de l’attentat du 11 septembre. Les tours bouillonnantes de fumée, des corps chutant dans le vide, des êtres hagards, couverts de poussière, courant sur un pont. Puis d’autres photos apparurent : des cadavres aux yeux crevés, des bustes d’enfants arrachés, sous des gravats. Le commentaire précisait : « Groznyï, Tchétchénie ». Je feuilletai encore : des débris de squelettes, un crâne aux mâchoires serrées sur un slip féminin. Pas besoin de lire la légende. La scène était l’exhumation des victimes d’Emile Louis, dans la région d’Auxerre.

Pourquoi Luc conservait-il ces horreurs ? Je remis le dossier en place puis ouvris celui des années 90, piochant des fichiers au hasard. 1993. Des victimes égorgées, dans une ruelle d’un village algérien. 1995. Des corps démembrés, parmi des flaques de sang et des tôles carbonisées. « Attentat suicide, Ramat Ash Kol, Jérusalem, août 1995. » Mes mains se mirent à trembler. Je devinai qu’une chemise était consacrée à mon cauchemar familier. Corps noirs dans la boue rouge, visages tailladés, charniers à perte de vue : « Rwanda, 1994 ».

Je refermai le dossier avant que les images me sautent au visage. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois pour clore la boucle. Une sueur glacée coulait sur mes traits. La peur, revenue en force, comme aux plus mauvais jours. Je me relevai et écartai les stores de la fenêtre, scrutant la cour de briques plongée dans la nuit. Au bout de quelques secondes, je me sentis mieux. Mais j’étais déçu, humilié, encore une fois, de voir à quel point le Rwanda était toujours là, à l’intérieur de moi, à fleur de peau.

Je revins à Luc. Voilà donc à quoi il passait ses soirées et ses week-ends. Chercher, découper, répertorier les plus sinistres exploits humains. Me penchant de nouveau sur les rayonnages, je choisis un dossier à part : « 1940-1944 ». Je m’attendais à un catalogue des violences nazies mais j’eus d’abord droit à des images asiatiques. La vivisection d’une femme, pratiquée par des Japonais en blouses et masques chirurgicaux. La légende indiquait : « Violée et fécondée par le chercheur de l’unité 731 nommé Koyabashi ; celui-là même qui est en train d’extirper le fœtus qu’elle porte. » Les mains gantées du chercheur, le corps sanglant, les hommes en civil, à l’arrière-plan, portant eux aussi des masques. Tout ça relevait de la terreur pure.

La chemise suivante était celle que j’attendais : le nazisme et ses abominations. Les camps. Les corps affamés, rongés, anéantis. Les cadavres poussés à la pelleteuse. Mon regard s’arrêta sur un cliché. Scène quotidienne au bloc 10 d’Auschwitz, 1943 : une exécution où les condamnés, nus, face au mur de carrelage, attendaient que l’officier leur tire une balle dans la tête  – la plupart étaient des femmes et des enfants. Un détail me pétrifia : les deux nattes noires d’une petite fille, accentuées par le grain photographique, se détachant sur son dos blanc et frêle.

Je rangeai l’ensemble : j’avais ma dose. La chronologie sur les autres étagères remontait les siècles — XIXe XVIIIe siècle... J’aurais pu nager dans l’épouvante jusqu’au petit matin. Des gravures, des tableaux, des écrits, toujours sur les mêmes thèmes : guerres, tortures, exécutions, assassinats... Une anthologie du mal, une taxinomie de la cruauté. Mais que signifiait ce « D », inscrit au dos de chaque dossier ?

Soudain, je compris.

« D » pour « DIABLE », ou « DÉMON ».

Je songeais au « Dancing with Mister D. » des Rolling Stones.

Les œuvres complètes du diable, ou presque...

La sonnerie de mon portable me fit sursauter.

— Foucault. Je sors d’un dîner avec Doudou.

Il était près de 23 heures. Les images atroces palpitaient sous mes paupières :

— Comment ça s’est passé ?

— Ça m’a coûté un bon gueuleton mais j’ai le tuyau. Ces derniers temps, Luc s’intéressait à une affaire en particulier.

Son élocution était pâteuse. Foucault semblait complètement cuit.

— Quelle affaire ?

— Le meurtre de Massine Larfaoui.

— Le brasseur ?

— Exactly.

Je connaissais le Kabyle du temps de la BRP. Un des plus importants fournisseurs de boissons des bars, restaurants et boîtes de Paris. Je ne savais même pas qu’il avait été tué.

— Quand a-t-il été buté ?

— Début septembre. Une balle dans la tête et deux dans le cœur, à bout portant. Du travail de pro.

— Pourquoi on n’a pas eu l’affaire ?

— Les Stups avaient déjà Larfaoui à l’œil. Le gus s’était développé dans plusieurs trafics : cannabis, coke, héroïne. Ils se sont arrangés avec le SRPJ concerné pour avoir le coup.

— Où en est l’enquête ?

— Nulle part. Pas d’indice, pas de témoin, pas de mobile. Un dossier vide. Le juge compte classer l’affaire mais Luc refusait de lâcher le morceau.

Ce crime de sang n’éloignait pas le soupçon de corruption. Au contraire. Larfaoui avait toujours entretenu des relations obscures avec les condés, monnayant pour ses clients cafetiers des facilités policières. Obtention d’une licence IV, tolérance pour un tripot, protection contre d’éventuels racketteurs... Les meilleurs gardes du corps restaient les flics eux-mêmes. Luc avait-il trouvé un os à l’interne, sous ce meurtre ? Couvrait-il au contraire quelque chose ?

— Sur Larfaoui, repris-je, t’as des détails ? Où s’est-il fait allumer ?

— Chez lui. Un pavillon à Aulnay-sous-Bois. Le 8 septembre, vers 23 heures.

— La balle, l’arme ?

— Doudou n’a rien voulu cracher. Mais ça a l’air d’une vraie exécution. Un règlement de comptes ou une vengeance. À priori, ça pourrait être n’importe quel pro. (Foucault marqua un temps.) Y compris un flic.

— C’est ce que pensait Luc ?

— Personne ne sait ce qu’il pensait.

— Doudou ne t’a pas parlé de voyages que Luc faisait ces derniers temps ?

— Non.

— Qui est le juge sur l’affaire Larfaoui ?

— Gaudier-Martigue.

Mauvaise nouvelle. Un connard étriqué, avec des idées bien peignées sur le côté. Aucune chance d’obtenir des informations par la bande. Encore moins de consulter le dossier.

— Va te coucher, conclus-je. Demain, j’aurai d’autres trucs à te demander.

Foucault éclata de rire. Vraiment bourré. Je raccrochai. Ces nouvelles n’étaient pas celles que j’attendais. Il était impossible que l’exécution d’un brasseur-dealer plonge Luc dans le désespoir.

Je retournai à mon placard. Sur l’étage inférieur, des dossiers affichaient, sous le « D » générique, des lettres minuscules, par ordre alphabétique. J’ouvris le premier rabat et compris : les tueurs en série. Ils étaient tous là, à travers les siècles, les continents. De Gilles de Rais à Ted Bundy, de Joseph Vacher à Fritz Haarmann, de Jack l’Eventreur à Jeffrey Dahmer. Je renonçai à parcourir ces documents  – je connaissais la plupart de ces cas et n’avais aucune envie de me vautrer dans cette nouvelle boue. Pas plus que je ne voulais consulter la dernière rangée du bas, visiblement consacrée à la pornographie et à toutes les turpitudes que la chair peut inventer.

Je me frottai les yeux et me levai. Il était temps d’attaquer la grande armoire. J’ouvris les deux battants et découvris de nouvelles archives, toujours frappées du sigle D. Mais cette fois, changement de registre : il s’agissait d’une immense iconographie du diable, ses représentations à travers les siècles.

J’attrapai les dossiers de gauche et les ouvris sur le bureau. L’Antiquité, avec les premiers démons de l’histoire humaine, issus des traditions sumérienne et babylonienne. Je m’arrêtai sur une des principales créatures de cette mythologie : Pazuzu, d’origine assyrienne, Seigneur des Fièvres et des Fléaux.

Du temps de la fac, j’avais suivi une UV de démonologie. Je connaissais ce monstre, avec ses quatre ailes, sa tête de chauve-souris et sa queue de scorpion. Il personnifiait les mauvais vents, ceux qui charrient les maladies, les infirmités. J’observai son mufle retroussé, ses dents chaotiques. À lui seul, il avait inspiré des siècles de tradition diabolique. Et quand un film majeur se tournait sur le diable, comme L’Exorciste de William Friedkin, c’était encore Pazuzu, ange noir des quatre vents, qu’on déterrait des sables d’Irak.

Je continuai de feuilleter : Seth, le démon égyptien ; Pan, dieu grec du désir sexuel, avec sa face de bouc et son corps poilu ; Lotan, « Celui qui se tord », qui inspirerait plus tard le Léviathan...

Les autres fichiers. L’art paléochrétien où le Mal, conformément à la Genèse, a la forme d’un serpent. Puis le Moyen Âge, l’âge d’or de Satan. Parfois, c’était un monstre tricéphale dévorant les damnés à l’heure du Jugement dernier ; d’autres fois, un ange noir aux ailes brisées ; d’autres fois encore, des gargouilles, sculptures et bas-reliefs dressant des trognes abjectes, des museaux rognés, des dents acérées...

On frappa doucement à la porte. Laure entra sans bruit. Il était minuit. Elle lança un coup d’œil aux dossiers à mes pieds.

— Je vais tout ranger, m’empressai-je de dire.

Elle fit un geste las : aucune importance. Elle avait pleuré. Son mascara avait coulé, lui dessinant deux yeux au beurre noir. J’eus cette pensée absurde, et cruelle : jamais ma mère n’aurait commis une telle faute. Je la revoyais, dans la voiture qui nous conduisait à l’enterrement de mon père, se passer sur les cils du mascara waterproof, en cas de larmes intempestives.

— Je vais me coucher, dit Laure. T’as besoin de rien ?

J’avais le gosier sec mais je fis non de la tête. L’heure tardive, cette intimité soudaine avec Laure... Je n’étais pas à mon aise.

— Si je travaille toute la nuit ici, c’est bon ?

Elle baissa encore les yeux sur les photographies par terre. Son regard consterné s’arrêta sur un masque de démon tibétain, qui sortait d’un carton :

— Il passait ses week-ends dans son bureau, à collectionner ces horreurs.

Dans sa voix, passait une sourde réprobation. Elle fit volte-face, attrapa la poignée puis se ravisa :

— Je voulais te dire quelque chose. Il m’est revenu un détail.

— Quoi ?

Par réflexe, je me levai, essuyant mes mains sur mon pantalon ; j’étais couvert de poussière.

— Un jour, je lui ai demandé ce qu’il foutait dans ce capharnaüm. Il m’a juste répondu : « J’ai trouvé la gorge. »

— La gorge ? Il n’a rien dit de plus ?

— Non. Il avait l’air d’un fou. Halluciné. (Elle se tut, soudain captive de ses souvenirs.) Si tu décides de partir dans la nuit, claque la porte derrière toi. Et n’oublie pas la messe, après-demain.

« J’ai trouvé la gorge. » Qu’avait-il voulu dire ? Etait-ce une gorge au sens physiologique ou minéral du terme ? Parlait-il d’un détail physique d’une personne ou d’un canyon, d’un puits de pierre ?

Les heures passèrent. En compagnie des fresques diaboliques de Fra Angelico et de Giotto, les peintures maléfiques de Grünewald et de Bruegel l’Ancien, le diable à queue de rat de Jérôme Bosch, le diable-porc de Dürer, les sorcières de Goya, le Léviathan de William Blake...

À 3 heures du matin, j’attaquai le dernier rangement. Au toucher, je sentis que les chemises n’abritaient plus des tirages photo mais des clichés médicaux. Des scanners, des clichés d’IRM, représentant des cerveaux. Je lus les légendes. Des malades psychiques en état de crise, notamment des schizophrènes violents.

Pas besoin d’être un génie pour deviner la démarche de Luc. À ses yeux, les représentations contemporaines du diable pouvaient être ces convulsions cérébrales, saisies sur le vif, à l’intérieur même de l’organe. Tout cela participait de la même logique : identifier le mal, sous toutes ses formes...

Je passai rapidement en revue ces archives, conservant quelques clichés pour mon dossier, ainsi que d’autres pour Svendsen. Je m’installai derrière le bureau, harassé  – aucune force pour partir à cette heure. Mes pensées commençaient à perdre en netteté, et je me sentais de plus en plus mal.

Il n’y avait pas que la fatigue. Un malaise ne m’avait pas quitté depuis le début de mes fouilles : le Rwanda. La simple proximité des images du massacre m’avait foutu en l’air pour la nuit. Prenant la mesure de mon épuisement, je compris que je ne pourrais pas résister.

J’étais bon pour un aller simple en enfer.

Dans le puits de mes souvenirs.

 

Le Serment des limbes
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